La saison Hypercar 2022 : Toyota a dû se battre jusqu’au bout

Graham Goodwin analyse la bataille pour le titre de la catégorie reine du Championnat du Monde d'Endurance FIA 2022.

Dans le deuxième volet d'une courte série sur fiawec.com, Graham Goodwin, Dailysportscar’ se penche sur le nouvel ordre mondial de la catégorie Hypercar, avec une attention particulière pour la saison 2022 du Championnat du Monde d'Endurance FIA 

Dès le début des discussions visant à la reconstruction d’une grille de départ  compétitive et attractive, les passionnés de cette discipline ont rêvé du retour des belles années de l’endurance au plus haut niveau.

Et ce après cette réunion historique sur le Daytona International Speedway en 2020 où les principaux acteurs de la discipline que sont l’ACO, la FIA et l’IMSA ont accordé leurs violons afin de proposer des règlements compatibles, offrant ainsi un nouveau souffle à la discipline.

Depuis, nombre de constructeurs et leurs écuries ont annoncé à un rythme effréné qu’ils rejoignaient la grande famille du FIA WEC et de l’IMSA pour contribuer à ce que même les plus pessimistes des observateurs s’accordent à  surnommer "l’ère dorée de l’Endurance".

Avec de nombreuses nouvelles voitures qui effectueront leurs grands débuts en 2023, les fondations de la nouvelle catégorie reine de l’Hypercar sont déjà solidement établies, grâce notamment aux progrès réalisés en championnat du monde d'endurance FIA  au cours des deux dernières saisons.

La catégorie Hypercar accueillera en 2023 des voitures conçues à partir de deux règlements différents, mais elle a déjà acquis l'expérience de la gestion de machines très différentes au cours des deux premières saisons de la nouvelle catégorie.

Alors que le monde sortait du chaos provoqué par la pandémie du COVID 19, le sport automobile a fait ce qu'il a toujours fait : il a tenu ses promesses, dans des délais impossibles à tenir, face à des obstacles d'ordre financiers, logistiques et humains, et alors qu'un flux constant de "nouveautés" ne cessait d’émerger.

La saison 2021 a vu les premières pousses vertes : des Toyota flambant neuves et la courageuse équipe Glickenhaus s'attaquant à une ancienne Alpine LMP1. Les machines et les processus leur permettant de se mesurer à armes égales avaient besoin de temps pour devenir fiables et crédibles.

En 2022, alors que l’on voit déjà émerger les réjouissantes perspectives pour 2023, un autre tout nouveau concurrent, et non des moindres, vient déjà s’ajouter à la liste des engagés: Peugeot et son extraordinaire 9X8, qui ne ressemble à rien de ce qui a été fait auparavant.

Les gros titres parlaient d'une voiture de course sans aileron arrière, mais la réalité était une voiture qui est, indéniablement, un produit de l'équipe de conception de la marque qu'elle représente - et c'est là tout l'intérêt.

Sur la piste, la concurrence face à laquelle la 9X8 allait se  mesurer était déjà féroce.

Toyota s'incline à Sebring et Alpine prend le dessus.

La Toyota  GR010 est désormais plus fiable et plus proche de victoire qu’en 2021, avec des mises à jour importantes pour cette nouvelle saison. Mais la tâche qui attendait l'équipe tout au long de la saison s’est compliquée après un accident impressionnant à Sebring et un abandon laissant Jose-Maria Lopez avec de nombreuses questions sur les choix effectués dans des moments cruciaux menant à l'élimination de la n°7.

A la peine en qualifications, le week-end des Toyota s’est encore obscurci avec l’interruption de la course en raison d'orages. L'Alpine n°36 a signé la victoire, et empoché le maximum des points pour les 12 heures de course prenant d’emblée une belle avance au championnat avant le triptyque européen.

L'Alpine a dominé les débats en Floride, Glickenhaus  complétant le podium derrière la Toyota n°8, unique survivante du team officiel japonais.

Glickenhaus en pole dans les Ardennes - Toyota de nouveau en difficulté

Déjà mécontent de la Balance de Performance attribuée à son Hypercar non-hybride en 2021, Jim Glickenhaus est arrivé en 2022, encouragé par les discussions d'avant-saison sur les modifications de l'algorithme qui, selon lui, permettraient à la voiture de revenir dans le coup. 

C'est exactement ce qui s’est produit à Spa-Francorchamps, où la voiture a dominé la séance de qualification qui vit les quatre Hypercar engagées séparées seulement d’un peu plus de trois dixièmes de seconde.

La course en Belgique ne s'est pas déroulée comme prévu, et la malchance a frappé cette fois la Toyota n°8, victime d’une défaillance du système hybride. Après un drapeau rouge, Seb Buemi a eu du mal à redémarrer la voiture, la GR010 s'est arrêtée et a nécessité l'intervention de l'équipe après que le voyant d'alerte hybride se soit allumée, signifiant qu'aucun contact avec la voiture ne pouvait avoir lieu sans la présence de personnel qualifié !

Au bout du compte ce fut donc un nouvel excellent résultat pour Alpine, deuxième derrière l’autre Toyota n’ayant pas connu de souci. Mais avec une saison ne comportant que six courses, Toyota se devait urgemment de trouver le rythme, la fiabilité et, bien évidemment, ce petit brin de chance indispensable!

Finalement, Alpine trébuche

Alpine débarque au Mans avec une confortable avance au championnat du monde, au contraire de Toyota qui, pour la première fois depuis longtemps, entame le double tour d’horloge avec un besoin criant de points.
 
L'équipe française, cependant, sera celle qui aura le plus de mal, la balance de performance spécifique au Mans ne l'aidant pas. Une pénalité en début de course, puis un passage de près de 15 minutes dans le garage pour des problèmes d'embrayage ne sont que les deux premiers feuilletons d'un film d'horreur qui les verra terminer loin, trop loin, au classement général final.

Glickenhaus, en revanche, avait trouvé la fiabilité et, même s'ils ne pouvaient pas rivaliser avec les Toyota en termes de rythme, ils réalisaient leur propre course signant de très bons temps individuels dans la seule course de la saison où deux SCG 007 étaient alignées.

C'est la voiture engagée en WEC qui a cependant lâché prise après qu'Olivier Pla ait heurté les rails au volant de la n°708, permettant à la voiture sœur (709) de se hisser en troisième position. Un podium inattendu était en vue, le premier pour une voiture développée et engagée par un team privé au Mans depuis des décennies.

Toyota, en vérité, n'a jamais été trop pressé après les problèmes précoces de l’Alpine n°36, les deux voitures nippones se sont échangé la tête à plusieurs reprises jusqu'au moment décisif où un problème de MGU sur l’essieu avant de la GR010 n°7 l’obligeant à s'arrêter brièvement en piste avant un arrêt non prévu au stand. De quoi offrir la victoire à la voiture sœur (n°8), la cinquième consécutive pour Toyota. Une première, en revanche, pour Ryo Hirakawa qui partageait le volant avec Brendon Hartley et Sébastien Buemi. Le Néo-Zélandais, auteur de la pole position et le pilote suisse signant, quant à eux, respectivement leur 3e et 4e sacre dans la Sarthe.

Les Lions débarquent en Italie

Grâce au carton réussi en début de saison Alpine conserve la tête du championnat en débarquant au cœur de l’été à Monza. 

Chez Toyota, on mise tout sur une nouvelle victoire indispensable dans la lutte pour la couronne mondiale. Mais deux autres événements agitent le paddock avant même les premiers essais libres, où l’on dénombre désormais 5 voitures engagées dans la catégorie reine.

La première est un coup de génie réussi par Jim Glickenhaus. En repeignant simplement la n°708 en bleu ciel, il a attiré beaucoup d’attention, la belle américaine devenant la coqueluche des médias, avant de faire encore parler d’elle !

Le deuxième événement marquant est les débuts en compétition des deux Peugeot 9X8, lors d'un week-end sous un soleil de plomb en Italie. Les deux ‘Lionnes’ ont tout bonnement épaté le monde avec leur look extraordinaire - "Batmobile gauloise", a soufflé un observateur - "La plus jolie Peugeot depuis la 205 GTI" a renchéri un autre !  

Une chose est sûre, elles étaient les vedettes du paddock !

Les Peugeot n'étaient pas encore tout à fait au point, que ce soit au niveau du rythme ou de la fiabilité, si bien qu’aucune ne franchit le drapeau à damiers. Mais à voir la réaction du staff Peugeot à ce stade il s’agissait plus d’une déception que d’une réelle surprise…

Glickenhaus a, de son côté, décroché une pole position impressionnante, et ont même mené la course de manière convaincante jusqu'à ce qu'un problème de turbo gâche leur journée dans ce qui s'est avéré être la dernière apparition de la saison pour la voiture made in USA.

Par la suite, l'Alpine et la Toyota se sont livrées une belle bataille, les bleus rendant coup pour coup aux deux Hypercars japonaises jusqu'à ce que Kamui Kobayashi attaque un peu trop vigoureusement à la suite d'un dépassement épique de l'Alpine à Curva Grande. Le contact latéral provoqua une crevaison à l'arrière de la n°7 et d'autres dommages, le pilote et team manager Toyota étant condamné à un arrêt de 90 secondes pour contact inapproprié.

La n°7 n'a donc pu faire mieux qu’une troisième place avec une Alpine résistant jusqu’au bout à la l’autre Toyota (n°8) pour signer sa deuxième victoire de la saison !  

Le titre mondial semblait donc bel et bien toujours à portée de main !

Toyota renverse la situation

Mais la manche suivante, disputée à Fuji, le circuit de Toyota, fut tout sauf une sinécure pour l’Alpine, alors que le WEC retrouvait le Japon pour la première fois depuis 2019.

Peugeot cherchait à sortir du lot avec James Rossiter, 'spécialiste local', en particulièrement bonne forme pour ce qui était sa deuxième et dernière course suite au remplacement tardif de Kevin Magnussen, revenant surprise en F1. Rossiter étant nommé après Fuji au poste de directeur d'équipe pour la nouvelle aventure de Maserati en Formule E !

Le rythme était meilleur pour les Peugeot, mais une fois de plus, la fiabilité a émoussé les efforts, les deux voitures ayant passé du temps au garage. Les courses de fin de saison viraient à l'apprentissage ardu de cette complexe catégorie Hypercar pour tous les nouveaux venus.

Alpine poussait fort mais ne trouvait pas la réponse face aux héros de l'équipe japonaise. La Toyota n°8 retrouve la tête du championnat avec une victoire, décrochée grâce au sans-faute de ses trois pilotes, le jeune Ryo Hirakawa résistant même aux assauts du Team Manager Kamui Kobayashi au volant de la voiture sœur (n°7). Un résultat offrant une égalité parfaite en tête du championnat entre cette Toyota n°8 et l'Alpine n°36, avant la finale de la saison au Bahreïn !

Tempête du désert

L’apothéose au Bahreïn fut bien plus qu’un simple duel, avec des points supplémentaires distribués pour ce format plus long (8 heures). La fierté, mais aussi les enjeux sportifs et les titres en jeu, la grille des cinq voitures semblait plutôt équilibrée.

Peugeot effectua un nouveau pas en avant en termes de rythme et a mené deux séances d'essais libres, semblant prêt à se battre en course, avant qu'un autre coup du sort ne retarde à nouveau les deux 9X8. Peugeot a appris les leçons en 2022 qui devraient certainement leur servir la saison prochaine.

Toujours candidate au titre, Alpine s’est bien battu, mais les Bleus se sont vite aperçus qu'ils ne disposaient pas du package nécessaire pour concurrencer face aux Toyota une fois la nuit tombée.

L'enjeu de la finale du Championnat était donc de savoir si Toyota Gazoo Racing pouvait finir la course avec les deux voitures - ce qu'ils ont fait, après une lutte acharnée entre les deux équipes. La n°7 est sortie vainqueur de la soirée, mais l'équipage n°8 de Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Roy Hirakawa a conquis les lauriers de Champion du Monde.

Coup d’œil sur l’avenir

Au sein du team Toyota Gazoo Racing cette saison a permis de comprendre que les défis étaient encore importants dans cette nouvelle catégorie. Le team a donc déjà compris que la Toyota GR010 aurait besoin de nouvelles mises à jour pour faire face aux défis à venir dès 2023.

Peugeot a terminé la saison en étant trahi par la fiabilité, mais les Français ont été encouragé avec leurs progrès en matière de performance. Ils ont tiré des leçons qui devraient porter leurs fruits la saison prochaine, alors que d'autres se joindront à eux pour réaliser à leur tour toute la différence qui peut exister entre les essais et la course.

Les Glickenhaus sont également prêtes à revenir en tant que "petite équipe pleine de promesses", Jim et Jesse étant ravis de s'attaquer une fois de plus aux teams d’usine.

Pour Alpine, la fin de la saison a marqué la fin de l'ère LMP1, leur A480 étant une version de la Rebellion R13. L'équipe reviendra en LMP2 en 2023 avant les débuts officiels de l’hypercar LMDH basée sur l'Oreca en 2024.

Par ailleurs, les infos concernant l’avenir de la catégorie Hypercar sont meilleures chaque jour :

Ferrari a dévoilé sa toute nouvelle Hypercar 499P en octobre dernier, son premier prototype d'usine en Endurance depuis près d’un demi-siècle 

La Porsche 963 a, quant à elle, été dévoilée au Festival of Speed de Goodwood. Deux voitures d'usine engagées par l'équipe Penske, seront en lice dès le début de saison.

Mieux encore, il y aura aussi deux Porsche privées alignées par le team Jota, champion LMP2 en 2022, et Proton Competition, habitué du GTE, qui auront une seule voiture en 2023, mais les deux teams prévoient déjà d'étendre leurs efforts à l'avenir. Ces Porsche privées rejoindront la compétition après Sebring.

Cadillac sera également de la partie avec une seule voiture V-LMDH pour la saison, exploitée par Ganassi Racing, le V8 offrant une  symphonie très différente de la norme turbocompressée  chez les Hypercars.

La voiture, construite par Kolles, attend une décision sur la viabilité de la participation sous le nom de Vanwall, tandis que les efforts d'Isotta Fraschini doivent prouver qu'ils sont prêts pour 2023.

Si l'année 2024 est une option plus réaliste, la concurrence sera encore plus rude avec l'équipe WRT qui a confirmé son intention d'engager deux voitures d’usine pour le compte de BMW et Alpine, qui revient avec deux voitures également. Lamborghini se lance dans le grand bain avec une seule voiture LMDH engagée pour l’usine par Iron Lynx.

Et même au-delà - il y a encore plus d'options à l'horizon avec les aspirations d'une autre marque supplémentaire qui se réveille du côté de Woking ! Sans compter le potentiel supplémentaire pour les marques existantes et supplémentaires d'essayer d'autres options sur le front technologique !

Les fans d’endurance vivent une époque vraiment incroyable ! 

Pour en savoir plus sur Graham Goodwin, visitez  dailysportscar.com